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Graphisme...
...occuper ses mains pour ouvrir ses oreilles.



Dans ma classe, les moments de parole m'ont longtemps parus à la fois très attendus et redoutés. Attendus, cela se comprend aisément, puisqu'il s'agit d'amener sa vie, sa production devant les autres, et de voir ainsi, d'une certaine manière, sa parole ou son travail pris en compte et reconnus. Mais redouté aussi, parce qu'écouter dans l'immobilité et le silence est pour certains une véritable épreuve ; d'où quantité de bruits parasites, chutes de crayons tripotés, grincements de chaises, etc... Il y a trois ans, donc, j'ai " attrapé au vol " une idée de Marcel (parmi beaucoup d'autres... merci camarade !) : permettre aux enfants de dessiner pendant le " Quoi de neuf ? ".

La production :
Après quelques tâtonnements, j'ai défini ces trois règles qui encadrent encore maintenant cette activité :
- le seul matériel autorisé consiste en un petit cahier de dessin et un stylo noir ;
- il ne doit rien y avoir d'autre sur la table ;
- ce matériel doit être sorti avant que le " maître de la parole " n'annonce le commencement du " Quoi de neuf ? "
Par la suite, j'ai étendu cette possibilité de dessiner aux moments de présentations de textes.
J'ai pu constater que loin de nuire à l'attention, cette activité favorise au contraire une bonne écoute, et ce sont souvent les enfants qui paraissent le plus absorbés dans leur graphisme qui lèvent la tête au moment le plus opportun pour poser la question la plus pertinente.
Mon psychologue de frère m'a d'ailleurs expliqué que cela n'a rien d'étonnant : lorsqu'on demande à un enfant de " faire attention ", il mobilise plus de ressources attentionnelles pour " avoir l'air de faire attention " que pour une réelle concentration focalisée sur ce qu'on veut lui présenter...
Cette année, j'ai essayé d'amener vraiment ces graphismes sur le terrain des arts plastiques. A cette fin, je n'ai pas hésité, dès le premier jour de classe, à présenter aux enfants de nombreux exemples, issus de la production des années précédentes ou de l'extérieur (comme par exemple les cartes postales éditées par Odilon). Je pense que c'était en fait " libérer " la créativité, en donnant à voir un très large éventail de possibilités et de styles (c'est un peu l'idée de " l'effet yaourt " dont parle Pierre Clanché à propos des textes libres). Mais surtout, pour aller plus loin, pour favoriser l'apparition des productions de plus en plus abouties, j'ai instauré un " retour au groupe ".

Le " retour au groupe " :
Une fois par semaine, j'installe l'épiscope et les enfants peuvent présenter leur dernier graphisme ; trois minutes, comme pour une prise de parole au " Quoi de neuf ? " ou une lecture de texte. L'auteur explique son travail et la classe pose des questions, critique et parfois suggèrent des pistes d'amélioration.
Au premier trimestre, chaque séance de présentation a donné lieu à l'élaboration coopérative d'une grille d'analyse, qui permet de parler de la forme et non plus seulement du fond. Nous avons d'ailleurs réfléchi à de telles grilles pour toutes les productions d'arts plastiques et pour les textes libres. Je pense que c'est un important facteur de progrès. Actuellement (début Mars), la grille comporte huit questions :
- le graphisme a-t-il été soigné ?
- la surface a-t-elle été bien organisée ? bien remplie ?
- est-ce figuratif ou abstrait ?
- si c'est figuratif, est-ce qu'on comprend bien ce qui est représenté ?
- si c'est abstrait, le graphisme donne-t-il une sensation d'équilibre ?
- le sujet principal se détache-t-il bien du fond ?
- y a-t-il des contrastes de valeur ?
- y a-t-il des contrastes de techniques (remplissages des formes, du fond) ?
Il va de soi que l'enfant qui travaille sur un graphisme a ces questions en tête et que plus ou moins consciemment, il intègre à la longue ces critères.
Ma " part du maître " consiste aussi, pendant ces présentations, à apporter d'éventuelles " réponses ". Nous avons à plusieurs occasions regardé des œuvres d'artistes, quand je pouvais faire des rapprochements entre des productions d'enfants et des témoignages d'adultes (Picasso, Kandinsky, Matisse...).
Par ailleurs, cette activité de graphisme a été l'occasion d'un échange fructueux avec nos correspondants. Nous avions expliqué qu'on pouvait dessiner pendant le " Quoi de neuf ? " et les présentations de textes, et ils nous avaient répondu que c'était une idée contestable, car on ne pouvait pas en même temps bien écouter et se concentrer sur un dessin. Il y a eu plusieurs va-et-vient dans les lettres collectives à ce sujet. Faute de pouvoir sortir un argument vraiment convaincant, nous leur avons finalement conseillé d'essayer pour juger... affaire à suivre...
Nous utilisons les graphismes pour l'illustration de nos recueils de textes libres, et après vote de la classe, ils peuvent être encadrés et exposés au même titre que les peintures, pastels, craies grasses, etc...

Voir des exemples de productions dans la rubrique "Dessins" dans ARTS PAR TECHNIQUES.