ATTENTION ET MOTIVATION
« Etre ou ne pas être dans la lune, telle est l’attention… »
Intervention d’Alain Guerrien lors du stage à Mons
Le Jeudi 7 Mars, mon frère Alain, maître de conférences à l’UFR de psychologie de l’université de Lille III, est venu nous présenter les plus récentes données de la recherche sur les relations entre attention et motivation, domaine sur lequel il travail-le avec sa collègue Annie Mansy de Lille II, dans le cadre du laboratoire « Temps, émotions et cognition ».
Cette rencontre a été pour nous un moment fort, dans la mesure où elle a bien montré que les intuitions et l’empirisme de Freinet se trouvent aujourd’hui pleinement confirmés par les données théoriques les plus pointues. En conséquence, nous possédons maintenant de solides arguments pour justifier, s’il en était encore besoin, notre approche de l’organisation des apprentissages, et pour répondre à toutes les idées reçues concernant les soi-disant « minutages » optimaux d’activités en fonction de l’âge des élèves, ou des déclarations encore plus vagues sur « ces enfants de maintenant qui ne savent plus faire attention… qui ne s’intéressent à rien… ». Il semble, de toute façon, que l’approche largement répandue dans les formations de l’Education Nationale de la manière de poser la question de la motivation des enfants (à savoir : « Comment les motiver ? », avec l’idée sous-jacente d’une action à mener de l’extérieur), conduise à l’absence de réponse satisfaisante et à une impasse…
Alain pense même qu’il paraît maintenant tout à fait possible d’éclairer par une justification scientifique la plupart des « Invariants » de Freinet (1964 – Réédition SEUIL 1994). Il n’exclut pas l’idée de poursuivre un travail sur cette piste, qui nous serait bien sûr très précieux…
Il constate, et c’est l’entrée qu’il choisit pour entamer son exposé, qu’il y a en effet un parallèle très évident à établir entre des données actuelles de la recherche et, entre autres, les invariants n° 7 et 17…
Invariant n° 7 : « Chacun aime choisir son travail, même si ce choix n’est pas avantageux. »
Donnez un bonbon à un enfant. Il sera satisfait, certes, mais n’en regardera pas moins avec envie le restant de la boîte. Présentez-lui la boîte pour qu’il choisisse. Il sera beaucoup plus satisfait, même si son choix n’est pas avantageux. […]
Nous avons déjà dit comment, pour la préparation du travail, nous donnons aux enfants le choix des thèmes au lieu d’en faire d’autorité la distribution.
Cet invariant est une des raisons qui font le succès de nos fichiers autocorrectifs et de nos bandes enseignantes. Avec le manuel de calcul, l’enfant n’a aucune latitude. Les exercices à faire sont imposés par le livre et par le maître. L’enfant n’a qu’à s’aligner sans rien dire.
Donnez aux enfants la liberté de choisir leur travail, de décider du moment et du rythme de ce travail et tout sera changé.
Imposez aux élèves un texte à lire et à étudier. Ils n’y ont ni appétit ni enthousiasme. Laissez-leur la liberté de choisir comme nous le faisons par le texte libre, le travail se fera alors dans un climat beaucoup favorable.
Ce principe, valable pour tous les individus, motive la survivance en France de l’artisanat. Au travail imposé à l’usine, l’ouvrier préfère son activité d’artisan, qu’il pratique à l’heure et au rythme qui lui conviennent, même si ce choix lui vaut des journées plus longues et plus fatigantes.
(Voir aussi l’article de M. Monot, « Cet irremplaçable invariant n° 7 », dans « Le Nouvel Educateur » n° 117 de Mars 2000.)
Invariant n° 17 : « L’enfant ne se fatigue pas en exécutant un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel. »
Ce qui fatigue les enfants comme les adultes, c’est l’effort contre nature, qu’on fait parce qu’on y est contraint.
La scolastique est si bien habituée à ses erreurs qu’il est officiellement admis que le jeune enfant ne peut pas travailler plus de quarante minutes et qu’il lui faut ensuite dans toutes les classes dix minutes de récréation.
Or, nous constatons expérimentalement – constatation qui ne souffre que fort peu d’exceptions – que cette règle scolastique est fausse : lorsqu’il est occupé à un travail vivant qui répond à ses besoins, l’enfant ne se fatigue absolument pas et il peut s’y appliquer pendant deux ou trois heures, davantage même si n’intervenaient les besoins physiques naturels.
A l’école Freinet, les enfants travaillent sans interruption de 8 h 30 à 11 h 30 très normalement.
La fatigue des enfants est le test qui permet de déceler la qualité d’une pédagogie.
L’attention concerne tout et n’est évidemment pas spécifique aux activités scolaires. Mais la question qui nous préoccupe est bien celle d’une « activité mentale clandestine » à l’école : pourquoi une activité ne semble-t-elle pas pouvoir capter durablement l’attention ?
La focalisation sélective est la sélection d’une information parmi toutes celles qui s’offrent dans l’environnement : vers laquelle l’attention va-t-elle s’orienter ?
Les ressources attentionnelles sont les ressources cognitives qui vont être utilisées pour traiter l’information. Elles n’existent qu’en quantité limitée. Il faut distinguer attention focalisée (c’est-à-dire quand toutes les ressources convergent vers un seul traitement, et qu’on est donc en situation d’être totalement « concentré » sur l’activité en cours) et attention partagée (quand les ressources cognitives se trouvent distribuées entre plusieurs activités, pour des raisons exogènes telle que la distraction liée à des événements extérieurs, ou endo-gènes telles que des préoccupations personnelles…).
Les facteurs structuraux et énergétiques concernent les déterminants des ressources disponibles : capacité limitée du « réservoir » des ressources, rythmes endogènes d’activation (ultradiens, circadiens…), état physique et mental du sujet (fatigue, motivation…). Changer d’activité peut d’ailleurs modifier l’état des ressources, comme s’il existait différents « réser-voirs » correspondant à différents types de ressources, utilisés de manière sélective lors de divers types d’activités. On peut ainsi constater, par exemple, que si l’on ressent une grande fatigue à taper un article pour le CH’TI QUI sur son ordinateur, cette fatigue semble disparaître si l’on choisit d’aller jouer de la musique. C’est que les ressources attentionnelles mises en œuvre ne sont pas les mêmes…
Le contrôle de l’activité n’est autre que cette fonction importante du système attentionnel qui est d’assurer le maintien de la cohérence de l’activité mentale orientée vers son but de manière continue, en maintenant un équilibre entre deux processus antagonistes : la flexibilité cognitive (réorientations de la focalisation attentionnelle selon des facteurs endogènes ou exogènes) et la résistance à la distraction (qui impose des limites à la flexibilité pour maintenir la cohérence de l’activité).
L’attention soutenue implique que ce schéma se reproduise « en boucle » afin d’assurer la focalisation sur l’activité dans un laps de temps long. La motivation permet alors une plus grande persistance de l’activité. Elle intervient également comme « facteur masquant », c’est-à-dire comme une variable qui réduit l’impact des rythmes endogènes d’activation et assure un meilleur maintien de la vigilance.
A l’analyse attentive de ce schéma du système, on comprend bien qu’attention et motivation sont tellement liées qu’il existe finalement peu de différences entre ces deux notions…
Pour trouver un « confort » dans l’apprentissage, il est nécessaire de tenir compte d’un certain nombre de facteurs quant à la motivation. Ces facteurs définissent ce qu’on appelle la motivation intrinsèque, et sont au nombre de trois :
- l’autonomie et le choix ;
- un niveau de complexité adapté, c’est à dire répondant à cette double exigence : se sentir compétent, mais aussi sentir que l’on va pouvoir progresser dans sa compétence ; il s’agit de la « théorie du décalage optimal » de Deci et Ryan (1985), ce que Vigotsky, que nous connaissons mieux, place sous le terme de « zone proximale de développement » ;
- un environnement social satisfaisant.
On voit bien, ici, que nos techniques qui permettent des choix, notre approche de l’enfant en situation d’apprentissage et l’organisation coopérative de nos classes qui doit permettre des relations sociales sereines, nous situent « plutôt » dans le cadre d’une telle motivation intrinsèque. Marcel a de plus avancé l’idée que dans une situation telle que la création mathé-matique, un enfant se « calerait » de manière quasiment automatique dans sa zone proximale de développement.
A l’opposé se situe la motivation extrinsèque, situation dans laquelle la tâche est réalisée pour une raison extérieure (récompense, punition…).
Il n’y a évidemment pas de brutale rupture entre deux types de motivation, mais un continuum qui va de la motivation intrinsèque à l’a-motivation totale, avec des catégories intermédiaires :
- la motivation intrinsèque aux sensations concernent les activités que l’on fait par pur plaisir, pour l’agrément qu’elles procurent ;
- la motivation intrinsèque à l’accomplissement concerne les activités que l’on mène pour la sensation de progresser ;
- la motivation intrinsèque à la connaissance concerne les activités que l’on mène pour le plaisir de la nouveauté ou l’acquisition de compétences particulières ;
- la régulation identifiée concerne les activités auxquelles on s’astreint parce qu’on sait qu’elles vont nous permettre de progresser par ailleurs (par exemple s’obliger à des séances de solfège dans le but de se simplifier la vie face à ses partitions de piano…) ;
- la régulation introjectée concerne les activités auxquelles on s’astreint pour éviter tout sentiment de culpabilité ;
- la régulation externe concerne les activités exclusivement « motivées » par la note, la récompense, la punition, le chantage affectif, etc…
- l’a-motivation étant l’absence totale d’intérêt pour l’activité et l’indifférence aux conséquences d’un non-accomplissement. Il n’y a en fait ici ni motivation intrinsèque ni motivation extrinsèque.
De plus, si l’on essaie d’établir un lien entre attention et motivation, on peut considérer que la motivation intrinsèque est plus propice à l’attention focalisée : l’activité bénéficie de 100 % de l’attention. A l’inverse, à la motivation extrinsèque correspondrait l’attention partagée : les ressources ne sont plus entièrement focalisées sur la tâche, mais se trouvent en partie détournées par le souci de la réussite ou de l’échec, le regard des autres, etc… La sensibilité à la distraction est également fortement corrélée au type de motivation. Dans le même ordre d’idées, Alain avance l’hypothèse selon laquelle lorsqu’on demande à un enfant qui semble inattentif de « faire attention », il utilise davantage de ressources pour « avoir l’air de faire attention » qu’à se concentrer réellement sur l’activité qui lui est proposée ; et ces ressources sont évidemment perdues pour l’apprentissage proprement dit !
On voit bien, de nouveau, où se situe la « scolastique » et en quoi nous échappons aux stratégies qu’elle utilise largement…
Voilà en quoi la recherche et notre pratique s’éclairent et se confirment mutuellement, pour notre plus grande satisfaction !
Compte rendu : Jean-Marc Guerrien
(…relu, précisé, enrichi et finalement approuvé par Alain…)